• Le Japon de Shinzo Abe à l’épreuve de la tourmente du Moyen-Orient

     

    Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, le 2 février, à Tokyo.Le premier ministre japonais, Shinzo Abe, le 2 février, à Tokyo. | YUYA SHINO / REUTERS

    Les conflits au Moyen-Orient ont longtemps été perçus au Japon comme « un feu de l’autre côté de la rivière ». Mais l’exécution en Syrie de deux otages japonais, Haruna Yukawa puis Kenji Goto, par l’organisation de l’Etat islamique (EI), place désormais le Japon en première ligne. Son image pacifiste, déjà battue en brèche par l’activisme du premier ministre nationaliste Shinzo Abe, ne le protège plus. Au Moyen-Orient, Tokyo va devoir faire des choix drastiques : combattre le terrorisme ou se tenir à l’écart de la tourmente. Eléments de réponse.

     

    Lire aussi : L’Etat islamique assassine un otage japonais

    A ce débat de fond s’en ajoute un autre, circonstanciel, sur le sens politique du premier ministre. Alors que des négociations étaient en cours depuis novembre pour sauver les deux otages, était-il politiquement judicieux d’annoncer au Caire le 17 janvier une aide humanitaire de 200 millions de dollars (177 millions d’euros) aux « pays combattant l’Etat islamique » ? Trois jours plus tard, l’organisation menaçait de les exécuter. Le quotidien des milieux d’affaires Nihon Keizai s’interroge, pour sa part, sur une « politique à courte vue », alors que le Japon dépend encore plus des hydrocarbures du Moyen-Orient depuis l’arrêt des centrales nucléaires à la suite de la catastrophe de Fukushima, en 2011.

    Depuis son arrivée au pouvoir, en 2012, Shinzo Abe a fait preuve d’un activisme diplomatique sans précédent et il vient d’augmenter le budget de la défense. Le meurtre des deux otages a rappelé aux Japonais les risques qu’implique cette ambition de puissance et la faiblesse des moyens dont dispose Tokyo pour la mettre en œuvre : marge de manœuvre diplomatique réduite en raison du poids du mentor américain – qui refuse toute négociation avec les terroristes – et inexpérience de la gestion des situations de crise, rendue encore plus complexe cette fois du fait de l’implication de la Jordanie, en raison de la demande d’échange de la djihadiste Sajida Al-Rishaoui, emprisonnée à Amman, contre Kenji Goto et un pilote jordanien capturé par l’EI.

    • Quelles conséquences sur la diplomatie japonaise au Moyen-Orient ?

    Le Japon va devoir préciser sa position dans une région du monde où il a mené jusqu’à présent une diplomatie prudente, discrètement démarquée de celles des Etats-Unis et de l’Union européenne. Depuis les crises pétrolières du début des années 1970, le Japon a mené une politique mesurée au Moyen-Orient, où il n’a aucun passé colonial, afin d’assurer ses approvisionnements en pétrole. Il était l’un des rares pays à entretenir des relations suivies avec les acteurs de tous bords. Tokyo avait ainsi courtisé l’Iran après la révolution khomeyniste en 1979 en dépit des pressions américaines. Son soutien à l’invasion de l’Irak et la participation de ses « forces d’autodéfense », l’armée nippone, aux opérations de maintien de la paix avaient entamé cette diplomatie de la prudence. Deux diplomates japonais furent assassinés en 2003. L’année suivante, toujours en Irak, un Japonais fut décapité par le mouvement d’Abou Moussab Al-Zarkaoui et trois autres furent capturés puis libérés (sans que l’on sache si une rançon avait été versée).

    Pour les groupes terroristes, le Japon a rejoint la « croisade » contre l’Etat islamique : les alliés occidentaux mènent des actions militaires et il se charge de l’aide humanitaire et économique. Tokyo affirme n’avoir pour objectif que d’éviter une polarisation de la situation au Proche-Orient en contribuant par son assistance à la stabilisation de pays comme l’Egypte et la Jordanie et dissocie la prise d’otages de l’ambition de Shinzo Abe de renforcer les capacités militaires du Japon.


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